Mise à mort de l’Université

Len­te­ment, depuis plu­sieurs années, on rap­pe­lait aux per­son­nels de l’U­ni­ver­si­té que vrai­ment, ils n’é­taient pas pro­duc­tifs, qu’une telle struc­ture devait être gérée comme une entre­prise, que la ren­ta­bi­li­té est quelque chose d’es­sen­tiel, qu’ils ne sont qu’un gros tas de vieux dino­saures qui ne font rien que se la cou­ler douce, que l’é­tat de la recherche fran­çaise est pathé­tique, etc.

Bien sûr, ce n’é­tait pas aus­si direct que ça, on fai­sait chan­ger les choses à petit coups de lois et de réformes, pas à pas, dou­ce­ment. À vrai dire, dans cha­cune de ces réformes, il y avait des choses inté­res­santes, qui lais­saient pré­sa­ger que si c’é­tait géré intel­li­gem­ment, ça allait ame­ner l’U­ni­ver­si­té vers quelque chose de plus inté­res­sant. Pour la masse des déci­sions insup­por­tables et into­lé­rables, on appre­nait chaque fois à faire avec, en se disant : « on a échap­pé à quelque chose de ter­rible, conten­tons-nous de ça », un peu à la manière de ce texte de Mar­tin Niemöl­ler

La der­nière loi sur le sujet a été pas­sée en douce à l’as­sem­blée en plein été 2007, la fameuse loi LRU sur l’in­dé­pen­dance des Uni­ver­si­tés. Fini l’é­ga­li­ta­risme sur tout le ter­ri­toire, finies la jus­tice et la logique uni­ver­si­taire dans les recru­te­ments des per­son­nels. Place au cas par cas, à la ren­ta­bi­li­té immé­diate, ouvrons grand la porte aux indus­triels pour qu’ils guident les orien­ta­tions de la recherche. Fini le contre-pou­voir, le creu­set d’i­dées inno­vantes, de recherche à long terme, de soli­da­ri­té. Mais voi­là, « dans le monde actuel, mon petit mon­sieur, il n’est pas accep­table de payer des gens à réflé­chir sur des trucs inutiles dans les 5 ans », sur­tout qu’ils embri­gadent tous nos jeunes dés­œu­vrés, ceux qui ne sont même pas capables d’al­ler en pré­pa, et de faire une école d’in­gé­nieur, mon petit monsieur…

On a bien essayé d’en par­ler à tous, mais per­sonne n’y prê­tait réel­le­ment atten­tion, comme d’ha­bi­tude, cha­cun à l’U­ni­ver­si­té espé­rait qu’in­di­vi­duel­le­ment il s’en sortirait.

Depuis cette date, les uni­ver­si­tés, sui­vant leurs cou­leurs poli­tiques, ont dou­ce­ment com­men­cé à choi­sir l’au­to­no­mie de leur ges­tion. On a conti­nué à annon­cer en plus haut lieu que la recherche fran­çaise était peu per­for­mante (sans rap­pe­ler des choses simples comme le manque d’en­ga­ge­ment finan­cier de l’é­tat com­pa­ré aux exemples de pays cités comme exemples), on a annon­cé la restruc­tu­ra­tion-démen­tel­le­ment des labo­ra­toires natio­naux comme le CNRS.

Et sou­dain, la défer­lante d’an­nonces et de pro­jets de décrets :

L’U­ni­ver­si­té va mal, les déci­sions récentes ont été prises uni­la­té­ra­le­ment en haut lieu. Aucune réflexion ne semble gui­der ça, si ce n’est la réduc­tion des moyens finan­ciers, et la libé­ra­li­sa­tion du fonc­tion­ne­ment d’un orga­nisme qui était à la fois un ser­vice public et le garant d’un cer­tain contre-pouvoir.

Et pour cou­ron­ner le tout, le pré­sident de la Répu­blique a pro­non­cé le 22 jan­vier un dis­cours adres­sé aux uni­ver­si­tés où il a été mépri­sant voire insul­tant envers l’en­semble des acteurs de la recherche natio­nale (on pour­ra consul­ter ces quelques liens qui donnent une idée du res­sen­ti après ce discours).

Si nous ne réagis­sons pas, les prin­cipes même de l’U­ni­ver­si­té vont dis­pa­raître dans les mois à venir, par des choix de ges­tion ne conser­vant que les pires idées des exemples anglo-saxons, et rédui­sant à néant l’es­poir de voir en France une recherche fon­da­men­tale et indé­pen­dante, ain­si qu’un ser­vice public d’en­sei­gne­ment supé­rieur démo­cra­tique et de qualité.

De nom­breuses uni­ver­si­tés sont donc en grêve illi­mi­tée depuis quelques jours, ten­tant d’in­for­mer à la fois la socié­té et les étu­diants sur l’a­ve­nir d’un orga­nisme qu’on détruit. La coor­di­na­tion natio­nale des uni­ver­si­tés a donc voté le 2 février 2009 plu­sieurs motions, dont une mani­fes­ta­tion natio­nale le 10 février 2009 pour ten­ter de rai­son­ner les déci­sions incons­cientes prises récemment. 

Sau­vons l’U­ni­ver­si­té, la recherche, et l’en­sei­gne­ment de demain !

7 thoughts on “Mise à mort de l’Université”

  1. Un son­dage vient d’être lan­cé aujourd’­hui, il a voca­tion à être signé par les ensei­gnants-cher­cheurs qui sou­haitent voir le pré­sident de la Répu­blique expri­mer ses excuses suite au dis­cours du 22 janvier :
    http://excuses-sarkozy.fr.nf/

  2. Quand on voit tous les pro­blèmes qu’il y a à l’u­ni­ver­si­té (la démis­sion de Xavier Dune­zat était assez édi­fiante là des­sus), on ne peut pas vrai­ment se réjouir du mode de fonc­tion­ne­ment actuel non plus …

    Les alter­na­tives à un meilleur fonc­tion­ne­ment de l’u­ni­ver­si­té sont inexis­tant dans le pay­sage poli­tique fran­çais (à part faire de la déma­go­gie à faire plus de ceci ou plus de cela. L’u­ni­ver­si­té fran­çaise ne va pas mou­rir à cause de la réforme en court. Ça fait belle lurette que le sys­tème est mort et ne sur­vit que grâce à son inertie.

    Cela étant, dans les réac­tions actuelles, ce qui me fait peur, c’est pas la per­ti­nence des ques­tions sou­le­vées (bien au contraire) mais le conser­va­tisme des uns et des autres.

  3. Si l’on regarde du côté de la recherche, on peut dire qu’à rému­né­ra­tion équi­va­lente, la recherche fran­çaise n’est pas loin d’être par­mi les plus efficaces.
    Or, le dis­cours mépri­sant du pré­sident à ce sujet uti­lise des argu­ments erro­nés pour mener à bien la réforme.

    Je suis d’ac­cord avec toi pour dire que le sys­tème n’est pas par­fait, mais il offre déjà un accès démo­cra­tique à l’en­sei­gne­ment supé­rieur, et de nom­breux ajus­te­ments ont déjà été pro­po­sés. Le pro­blème essen­tiel des décrets en cours est pré­ci­sé­ment leur côté uni­la­té­ral, écrit par des gens qui ignorent com­plè­te­ment les réa­li­tés à la fois de la recherche et de l’en­sei­gne­ment supé­rieur. Pous­ser l’u­ni­ver­si­té à exter­na­li­ser ses moyens et ses organes de déci­sion sans tenir compte des sub­ti­li­tés n’est pas la solu­tion à la res­tau­ra­tion d’un orga­nisme com­plexe, c’est au contraire pous­ser à son explo­sion, son déli­te­ment, et à la mar­chan­di­sa­tion de l’é­du­ca­tion. Ne plus per­mettre à des cher­cheurs d’être jugés par leurs pairs est un pas vers la domes­ti­ca­tion et l’é­ra­di­ca­tion d’une acti­vi­té qui bien­tôt ne sédui­ra plus per­sonne, si elle n’offre même plus la liber­té de recher­cher de manière indépendante.
    Si on veut une grosse boîte de R&D à pas cher, c’est bien parti…

    Un autre point très gênant est la manière dont on a pous­sé les gens, en moins d’un an, à créer de toute pière une for­ma­tion pour des concours dont per­sonne ne sait encore de quoi il sera fait, sans consul­ter ni tenir compte des points de vue depuis long­temps exprimés.

    La flexi­bi­li­té dans l’é­qui­libre enseignant/chercheur, la réforme de la for­ma­tion des pro­fes­seurs, l’a­mé­lio­ra­tion des condi­tions de vie des doc­to­rants, ces idées ont depuis long­temps des défen­seurs, qui n’ont jamais été réel­le­ment écou­tés, et qu’au­jourd’­hui on uti­lise comme pré­texte pour pul­vé­ri­ser le sem­blant d’é­ga­li­té qui per­du­rait dans le système.

  4. Les diri­geants fran­çais ne com­prennent rien à l’u­ni­ver­si­té. C’est pas nouveau.

    À mon avis, ça se pas­se­ra comme d’ha­bi­tude : on met­tra du vieux dans du neuf et ça sera repar­ti jus­qu’à la pro­chaine réforme …

  5. Tiens oui j’ai pen­sé à toi en regar­dant le dis­cours de notre ines­ti­mable chef au sujet des universités.

    Je n’ai pas bien com­pris dans quel but c’é­tait aus­si ouver­te­ment pro­vo­quant. Évi­dem­ment, il est ten­tant de pen­ser que le chef, loué soit son saint nom, pos­sède son style puant dont il ne se sépare pas.

    Mais là, ce mélange d’in­fan­ti­li­sa­tion et d’in­sulte (« c’est fini la récré tas de bran­leurs »), c’est quand même de l’art, il y a for­cé­ment quel­qu’un qui s’est un peu creu­sé la tête pour maxi­mi­ser le poten­tiel d’énervement.

    C’est quand même triste. Et de pen­ser que mes petits vieux vont me mar­te­ler ces conne­ries dans les mois à venir, ça me déprime souverainement.

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